DOSSIERS
Une histoire du jeu vidéo en tant qu'art
1994-1996 - L'explosion de la 3D

Après avoir accouché d'une dernière vague de classiques -Donkey Kong Country, Final Fantasy 6, Yoshi's Island, Earthworm Jim...-, les 16 bits remettent les armes. La relève est assurée dès novembre 94 par la PlayStation et la Saturn, qui sortent au Japon quasi-simultanément et réalisent d'excellentes ventes. Les deux 32 bits débarquent en occident à la rentrée 95, et modifient la façon dont on faisait les jeux jusqu'alors. Pas forcément dans le bon sens : les premiers jeux PS sont superbes mais creux, voire insipides -Ridge Racer, Destruction Derby, Toshinden...-, et les hits Saturn sont parfois aussi profonds qu'ils sont laids -Virtua Fighter, Daytona USA... Il faut attendre 96 et la sortie de Mario 64, Quake et Resident Evil pour que le potentiel ludique et artistique de la 3D soit vraiment compris et exploité. L'âge d'or de la 3D peut commencer. Enfin.

 

1994-1996 : les jeux majeurs

Le jeu fondamental

Mario 64 (N64, 96)

Mario 64 a intelligemment transposé en 3D le feeling et le fun des jeux de plates-formes signés Miyamoto. La maniabilité est plus instinctive que jamais grâce au pad analogique de la N64, la sensation de liberté est rafraîchissante, et le jeu est une réussite formelle évidente : les couleurs sont chatoyantes et harmonieuses, l'animation d'une parfaite fluidité. Nombreux sont les créatifs qui disent s'être largement inspirés de Mario 64 pour réaliser leurs jeux en 3D. C'est dire s'il s'agit là d'une référence.

Les autres jeux

Quake (PC, 96)

Suite officielle de Doom, Quake fut le premier de ses héritiers à être intégralement réalisé en 3D, des décors aux personnages. Contrairement à Doom où il était impossible de baisser ou lever la tête, Quake permet de regarder dans toutes les directions. Plus inextricables encore que ceux de Doom, les niveaux sont expertement pensés. Rapidement, Quake s'est imposé, avec ses deux suites, comme le titre le plus pratiqué en réseau dans le monde, et ses moteurs 3D ont été vendus à un nombre faramineux de sociétés. Un jeu-culte, peut-être le plus important de la décennie sur PC (avec Half-Life).

Resident Evil (PS, 96)

A sa sortie sur PS, Resident Evil provoqua une onde de choc dont on perçoit encore les effets aujourd'hui : un système de caméras fixes très inspiré d'Alone in the Dark, une atmosphère terrifiante et sanglante héritée du cinéma d'horreur, un scénario étonnant car émaillé de nombreux rebondissements, des cinématiques habilement intégrées, une réalisation jamais vue jusqu'alors. Deux ans après, la suite surpassait l'original en tous points, et confirmait la création d'un nouveau genre de jeux vidéo promis à une très longue descendance : le survival horror. Un genre où le langage protéiforme de la peur est roi.

Yoshi's Island (SFC, 95)

Yoshi's Island est un jeu charmant, surprenant et parfois hilarant. Charmant par son style graphique enfantin, où chaque élément du décor semble avoir été dessiné au crayon. Surprenant par sa diversité -une centaine d'ennemis différents habitent le jeu, dont certains n'apparaissent qu'une fois !- et par le nombre phénoménal d'idées qu'il contient -les plates-formes en 3D, les monstres géants qui se distordent, les passages en ski... Hilarant enfin par son audace : dans le niveau joliment nommé "Cotonou Prout Prout", un Yoshi groggy est pris de flatulences terribles après avoir avalé des fibres végétales hallucinatoires qui déforment le décor ! Le meilleur jeu de plates-formes en 2D de tous les temps.

WipEout (PS, 95)

En tant que jeu, WipEout n'est pas une réelle réussite. En tant qu'oeuvre d'art, c'est une date. C'est en effet le premier titre à avoir assimilé la culture techno, aussi bien graphiquement que musicalement. Le design est très soigné et sophistiqué, la sensation de vitesse saisissante. Un titre dont les qualités formelles sont toujours avant-gardistes, cinq ans après sa sortie.

Donkey Kong Country (SFC, 93)

Développé par Rare, Donkey Kong Country repoussait les limites de la SNIN en utilisant une technique révolutionnaire : calculer les graphismes en 3D sur des stations de travail surpuissantes, puis les traduire en 2D dans un langage que comprend la 16 bits de Nintendo. DKC possède ainsi un rendu étonnant, très modelé et d'un réalisme inouï. La qualité des musiques -très longues, superbement composées et adroitement arrangées- ajoutait encore au relief de l'atmosphère visuelle. Un jeu de plates-formes classique mais très séduisant.

Chrono Trigger (SFC, 95)

Fabuleux représentant de l'âge d'or des RPG SquareSoft sur SNIN, Chrono Trigger possède un enrobage hors du commun. Elégant et poétique, le graphisme est exalté par une musique grâcieuse et évocatrice aux tonalités singulières. Le thème principal au piano, cristallin et enivrant, figure parmi les plus belles mélodies jamais entendues dans un jeu vidéo. Conçus par un Akira Toriyama au meilleur de sa forme, les personnages sont irrésistibles. Et la sophistication des effets spéciaux -notamment l'impensable déformation en point de fuite qui représente les voyages dans le temps- est à même d'impressionner le plus blasé des esthètes, encore aujourd'hui.

Final Fantasy 6 (SFC, 94)

Alors que la version européenne de FF9 est attendue pour début 2001, il paraît opportun de réévaluer le sixième volet de la série, souvent considéré par les fans comme le meilleur -avec raison. Comment décrire avec des mots adéquats ce chef-d'oeuvre phénoménal de l'ère 16 bits ? Cinq ans et demi après, y rejouer procure simplement les mêmes sensations. Si FF6 est à ce point endurant, c'est essentiellement parce que ses musiques ont une saveur impérissable : étonnamment intenses et puissantes, orchestrées avec richesse et naturel, elles servent idéalement un scénario complexe et audacieusement construit. Délicat et sublime.

Wave Race 64 (N64, 96)

Wave Race est le jeu de jet-skis le plus convaincant et le plus fun jamais fait. Il va jusqu'à ridiculiser toutes les bornes d'arcade qui se sont essayées au genre. La maniabilité est aussi subtile qu'instinctive, et les circuits sont d'une architecture et d'un graphisme fantastiques. Le jeu vidéo en tant qu'art est avant tout une affaire d'imaginaire, et Wave Race séduit justement parce qu'il renferme suffisamment de rêve pour s'émanciper de la simulation pure. Glisser sur des vagues d'un bleu transparent alors qu'un dauphin ou une orque nagent tout près de vous est une expérience ludique des plus fascinantes et des plus merveilleuses. La puissance de la N64 rend l'eau presque palpable : on n'est pas loin de sentir son volume et sa fraîcheur. Exceptionnellement réaliste, Wave Race est bien plus qu'un jeu de course : c'est une balade maritime mémorable, sublime et totalement unique.

Earthworm Jim (SNIN et MD, 94)

Imaginé par le grand David Perry -l'homme d'Aladdin sur MD-, Earthworm Jim est le jeu de plates-formes le plus cinglé de l'histoire. Dès les premières secondes, le ton est donné : une vache est propulsée dans les airs par un tremplin. L'animation cartoonesque est démente : le héros -un ver de terre- perd son calecon, se gratte le cul, fait de la corde à sauter avec son corps... Un jeu original et précurseur à la stupidité salutaire et immensément jouissive.

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