INTERVIEW
Laurent Tricart
Créée en janvier 2001, l'Association Régionale des producteurs de Contenus numériques (ARC numérique) est un signe supplémentaire de la créativité bouillonnante des nordistes en matière de nouveaux médias. Laurent Tricart, responsable communication de la société Oeil pour Oeil -l'une des chevilles ouvrières de l'ARC numérique-, nous parle de la genèse, des buts, des projets tangibles et du futur de cette entité, décrit l'état actuel du marché, et définit ce qui fait la singularité d'une production lilloise mondialement connue et reconnue...

Polygon : En quoi consiste l'Association Régionale des producteurs de Contenus numériques ?

Laurent Tricart : L'ARC Numérique est une association loi 1901 qui a été créée, entre autres, à l'initiative de Philippe Haudegond, le dirigeant d'Oeil pour Oeil, et de Bernard Candau, un des dirigeants de Chman, avec l'idée de regrouper tous les producteurs de contenus numériques sur la région Nord/Pas de calais. Par contenus numériques, on entend sites internet, séries pour le web, jeux pour le web, jeux offline... Cela partait du constat suivant : il y avait, dans la région, un nombre très important d'entreprises dédiées à la production de contenus numériques, principalement sur la métropole lilloise et sur Valenciennes. Beaucoup de ces producteurs avaient déjà une production nationale voire internationale, donc il y avait un fort potentiel. On était en contact avec les pouvoirs publics, avec les décideurs locaux, avec les entrepreneurs industriels, mais il n'existait pas quelque chose qui représente toute cette effervescence, tout ce savoir-faire, toute cette capacité de production, toute cette innovation. L'idée de l'ARC est née de là.

Quels sont les objectifs de l'ARC numérique ?

D'abord, faire du lobbying auprès des différentes institutions politiques et des institutions économiques -au niveau régional mais aussi national (pour la petite histoire, au dernier MILIA, on a évoqué l'ARC Numérique avec Lionel Jospin, qui est passé sur l'espace Nord/Pas de Calais). Un autre objectif est la mise en réseau de toutes les entreprises de l'ARC sur des thématiques très précises, notamment concernant la Recherche & Développement, afin de mettre en commun certaines valeurs ajoutées en termes, par exemple, de moteurs 3D. Il s'agit de mettre en réseau certaines richesses, certaines ressources. Après, il y a l'aspect communication, avec la présence sur les salons : stratégiquement, cela peut être intéressant de représenter l'effervescence régionale. Ce sont des pistes sur lesquelles on est en train de réfléchir. Un premier dossier important a déjà bien avancé : la création d'un fonds d'aide à la production numérique en région via l'ARC Numérique.

Tintin.com par No Copy

Comment définirais-tu la spécificité lilloise ?

La spécificité lilloise, c'est avant tout le fait qu'on soit si nombreux. Il n'y a pas d'autres villes comparables à Lille en France, à part Paris. A Lille, grosso modo, il y a une vingtaine de producteurs de contenus numériques qui représentent trois cents emplois, ce qui est tout de même assez énorme. La différence par rapport à Angoulême par exemple, c'est que là-bas il y avait eu une volonté politique de créer ça, alors qu'ici, c'est né spontanément, et c'est aujourd'hui qu'on essaie d'officialiser tout ça. Mais la spécificité lilloise n'est pas uniquement quantitative : elle est aussi, à mes yeux, qualitative. Entre Chman et son Banja qui est un vrai succès, Oeil pour Oeil qui a obtenu beaucoup de prix pour le site d'Alain Souchon par exemple, Tokto qui a été récompensé pour un projet qui s'appelle l'Appartement 354 ou No Copy qui fait le site officiel de Tintin, il y a déjà eu plein de réussites, et je crois qu'à ce niveau-là on est les plus avancés en France. On a été parmi les premiers à utiliser le web pour diffuser des programmes ou des jeux assez importants, on a été des sortes de pionniers. Et quand on rencontre des gens de toute la France -y compris les parisiens-, ils sont assez jaloux de ce qui se passe à Lille. Il y a des choses qui se créent à Marseille, par exemple, mais cela fait seulement six mois. Oeil pour Oeil a été créé il y a cinq ans, Chman il y a trois ans et demi : c'est déjà ancré et c'est la principale différence.

Est-ce que la spécificité lilloise, ce n'est pas aussi l'aspect "propriété intellectuelle" : des personnages déclinés sous plusieurs formes, plusieurs média, avec par exemple Chman et son projet de long-métrage d'animation Banja ?

Comme on a de l'avance, on a déjà fait beaucoup de productions online et on continue à en faire. On suit de près les évolutions du marché, et effectivement le fait que ce qu'on a développé online atterrisse à la télévision est évident pour tout le monde. Chman a donc des projets de ce genre, et de notre côté, on a des séries animées qu'on diffuse sur le Visiodrome pour lesquelles on est en discussions avec des diffuseurs télé français. Il y a un an, c'est ce qu'on pressentait tous, mais on n'était pas sûrs. Aujourd'hui le marché c'est ça : ce qu'on crée online -via Flash notamment-, peut se retrouver dans différents médias. On a tout intérêt, et on a, je crois, les capacités, à investir désormais les média traditionnels, et à être beaucoup plus que de simples web agencies comme parfois on nous présente. On n'est pas simplement des prestataires de services : on s'est tous investis dans des projets en tant que producteurs, sur nos fonds propres. Il y a une prise de risque, et il y a une vraie démarche audiovisuelle à la base.

Est-ce que les boîtes les moins connues de l'ARC vont, en quelque sorte, se servir de la notoriété des plus connues pour mieux se faire remarquer ?

Tout le monde a réalisé des projets désormais. On est dans une dynamique collective, tout le monde est au premier rang.

Quels sont les premiers projets concrets de l'ARC ?

On a des ateliers qui sont en place, notamment en R&D. Il y a eu des discussions. On a déjà pensé à faire des choses très pratico-pratiques. Par exemple, on utilise tous énormément de bande passante pour nos différents sites. Si on s'adresse tous à un même fournisseur d'accès, je pense qu'on peut négocier quelque chose d'intéressant commercialement. Mais bon, pour l'instant, on est encore dans la phase "se faire connaître".

Est-ce que ça t'inquiète que des sociétés comme Kalisto, qui ont beaucoup misé sur le online, aient rencontré d'énormes difficultés financières récemment ?

C'est un marché qui n'est pas actuellement très en forme. Après, pour Kalisto, il y a plein d'autres choses qui entrent en compte. Je ne pense pas que leur stratégie commerciale était mauvaise, du peu que j'ai pu suivre, mais il y a un phénomène particulier chez Kalisto : leur titre a été surévalué en bourse. C'est paradoxal, mais ils ont profité de cette bulle financière et quand elle s'est dégonflée, ils ont été les premiers à être au peloton d'exécution. Mais ce n'est pas spécialement inquiétant -même si on est obligé de le prendre en compte-, parce qu'on n'est pas dans les mêmes stratégies. Oeil pour Oeil est dans des projections assez réalistes : on n'est pas en bourse, on ne compte pas l'être, et il ne faut pas oublier que l'on est aussi prestataires de services. C'est quelque chose sur quoi on peut s'appuyer.

AlainSouchon.net par Oeil pour Oeil

Comment envisages-tu l'avenir de l'ARC numérique ?

J'espère qu'on sera de plus en plus nombreux. Je crois qu'on n'est seulement qu'au début de quelque chose, d'un nouveau média, d'un nouveau marché -mais pas d'une nouvelle économie : tout reste basé sur des notions traditionnelles en termes économiques. Je crois qu'on va forcément faire des émules. On va probablement inciter des gens qui, aujourd'hui, ont peut-être entre 18 ou 22 ans à se lancer dans l'aventure, on va un peu servir de modèles.

Ce que j'imagine aussi c'est que, via l'ARC numérique et la présence dans des salons, on va encore accroître la visibilité de ce qui se passe ici. Une des rencontres les plus récentes que j'ai faites, c'est la rédactrice en chef du magazine américain Animation Magazine, qui est loin d'ici, en Californie, et qui sait ce qui se passe à Lille. Autre anecdote assez amusante, on a reçu la visite d'un groupe italien très important en termes de téléphonie et d'applications online et informatiques en général, qui est venu faire son marché ici et qui a dû visiter quatre boîtes en deux jours. Maintenant, quand on est en face de gens qui ne connaissent pas l'effervescence lilloise, on a tous le réflexe de parler de ce que font les autres - je crois que cela peut faire son petit effet, notamment à l'international. Dans l'absolu on est concurrents, mais on vit ça sereinement. Ce qui est marrant, c'est qu'on a pas encore fait le site de l'ARC numérique, donc maintenant il faudrait qu'on le fasse ! (rires)

 

LES ONZE MEMBRES DE L'ARC NUMERIQUE

Oeil pour Oeil (http://www.oeilpouroeil.fr)

Team Chman (http://www.chman.com)

Nocopy (http://www.nocopy.fr)

Tokto (http://www.tokto.com)

Touche Etoile (http://www.touche-etoile.fr)

Archimed (http://www.archimed.fr)

La Berlue (http://www.laberlue.net)

Hydravision (http://www.hydravision.com)

Keblow (http://www.keblow.com)

Rhinoferos (http://www.rhinoferos.com)

Naxos (http://www.naxos-images.com)

Propos recueillis par Pierre Gaultier.

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