Polygonweb
envoie valser les préjugés
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Nintendo
fait des jeux de gamins, Myst est plus noble que Mario, les jeux vidéo
sont une perte de temps... Polygonweb envoie valser ces préjugés,
et analyse l'aveuglement du grand public, des media, et de certains gamers
et professionnels.
"Univers
naïf = jeu de gamins, univers sombre = jeu adulte" : analyse d'un
préjugé à la con
Vous avez très certainement déjà entendu ce genre de
propos : "Les jeux Nintendo, c'est pour les gosses, moi j'ai arrêté
à 10 ans", "Resident Evil est un jeu mature". Ces phrases
traduisent une équation communément admise : "Univers naïf
= jeu de gamins, univers sombre = jeu adulte". Eh bien, il s'agit d'un
des préjugés les plus cons et dévastateurs sur les jeux
vidéo. Ce genre d'opinions est malheureusement monnaie courante chez
beaucoup de joueurs, chez le grand public et, plus inquiétant, chez
certains professionnels du jeu vidéo (vendeurs, journalistes, développeurs,
etc). Or, le raisonnement qui fonde ce préjugé (mais peut-on
parler de raisonnement ?) est évidemment totalement aberrant.
Penchons-nous un instant sur le septième art. N'importe quel cinéphile
avisé vous le dira : il y a bien plus de cinéma dans Toy Story,
Mon voisin Totoro ou Le géant de fer que dans bien des films prétendument
adultes comme 8mm. Ces trois films d'animation possèdent d'extraordinaires
qualités d'écriture et de mise en scène : voyez l'incroyable
façon dont les différents éléments du scénario
s'imbriquent et s'enchaînent dans les deux Toy Story et dans Le géant
de fer ; voyez la poésie toute simple et la fabuleuse puissance visuelle
des décors, personnages et situations de Mon voisin Totoro. En comparaison,
un film comme 8mm, beaucoup plus sombre dans son thème (les snuff movies)
et son traitement (ultra glauque et violent) est-il, pour autant, plus adulte
? Bien sûr que non. Car 8mm se vautre dans le sordide pour masquer son
inanité scénaristique, et use de ficelles grossières
et moralement ignobles (apologie de la loi du Talion entre autres).
La différence entre une atmosphère mature et un gameplay
mature
Pourquoi ce détour par le cinéma ? Pour bien montrer que ceux
qui, au nom de préjugés crétins, destinent les dessins
animés aux seuls enfants ont la vue aussi courte que les anti-Nintendo
qui se moquent de l'atmosphère naïve d'un Mario. Car des jeux
soi-disant puérils comme Zelda : Majora's Mask mettent en oeuvre des
mécanismes d'interactivité bien plus riches et complexes que
d'autres jeux à l'univers plus noir. Et que dire de Mario 64 ? Avec
sa trentaine d'actions possibles, ses innombrables passages secrets et astuces,
ses niveaux formidablement architecturés et ses très nombreuses
idées de gameplay (les carapaces vertes avec lesquelles on peut surfer,
les plantes carnivores qui se réveillent si le pad analogique est pressé
trop fortement, les combats contre Bowser où il faut lui saisir la
queue et le faire tournoyer pour l'envoyer hors du ring...), ce chef-d'oeuvre
incontesté fait montre d'un game design infiniment plus dense et ingénieux
que, par exemple, le fameux Soldier of fortune, jeu douteux et poisseux (adapté
de la revue yankee réac homonyme) qui cache son abyssal manque d'intérêt
derrière une immoralité absolue et des effets gore (c'est un
peu le 8mm du jeu vidéo si vous voulez).
Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas, c'est qu'il y a une différence
considérable entre une atmosphère mature et un gameplay mature.
Les jeux Nintendo notamment, malgré leurs univers candides, affichent
une plénitude, une perfection ludique que la quasi totalité
des développeurs n'atteindront jamais. De même, les films de
Pixar dénotent une maestria dont beaucoup de cinéastes ne peuvent
que rêver.
Mario moins mature que Soldier of fortune ? Et ta soeur
!
Il n'est pas question de nier que l'atmosphère d'un jeu, le pouvoir
viscéral de son graphisme, de sa musique, de ses bruitages, de son
animation, de sa mise en scène, peut être une composante importante
du plaisir qu'il procure. De ce point de vue, jouer devient davantage une
expérience audiovisuelle, une plongée dans les profondeurs d'un
univers crédible et enveloppant. Après tout, ce n'est pas nous,
à Polygonweb, qui nous en plaindrons : nous avons toujours défendu
la force et la spécificité du jeu vidéo en tant que média.
Cependant, au final, le gameplay est, incontestablement, ce qui fait l'essentiel
de la valeur et de l'intérêt d'un jeu. Tout le reste est secondaire.
II. Pourquoi les jeux vidéo sont souvent incompris du grand
public et des média
Qu'est-ce qu'un jeu ? C'est avant tout du gameplay -un ensemble de règles,
de mécanismes, et de finesses dans la jouabilité qu'il s'agit
de maîtriser en vue d'atteindre un but. Le problème, c'est que
bien souvent, les qualités de gameplay d'un jeu sont loin d'être
immédiatement visibles : elles sont comme enfouies sous des couches
de 3D. Pour les évaluer sérieusement, de nombreuses heures de
pratique peuvent être nécessaires. Il est par exemple rigoureusement
impossible de saisir la profondeur inouïe d'un F-Zero X, d'un Civilisation,
d'un GoldenEye ou d'un Mario World en quelques minutes.
Le problème vient de ce que beaucoup de personnes s'arrêtent
à la partie émergée d'un jeu. C'est parfois le cas de
certains gamers ou professionnels aveugles. Mais cela concerne surtout la
presse généraliste, qui a une sérieuse propension à
juger les jeux selon des critères visuels, sonores ou littéraires
complètement hors de propos. Du coup, des jeux exceptionnels -mais
à l'apparence, au principe et au thème pas suffisamment "nobles"-
sont passés sous silence. Cette vision effroyablement superficielle
et erronée des jeux vidéo conduit à porter aux nues de
mauvais jeux comme Myst ou The Seventh Guest sous prétexte qu'ils présentent
une esthétique artistiquement valide. Le grand public, quant à
lui, préférera WipEout (charte graphique béton, décors
foisonnants, musique branchouille) à F-Zero X (décors anémiques,
couleurs zarbiroïdes, métal eighties instrumental), alors que
le gameplay de ce dernier est parmi ce qui s'est fait de plus subtil et de
plus grisant ces dernières années (voir cet article).
Cabale médiatique
C'est cette même incompréhension de la nature des jeux vidéo
qui est à l'origine de la cabale médiatique dont ils ont toujours
été victimes, notamment aux Etats-Unis après les fusillades
de Littleton (voir cet excellent
article de l'universitaire américain Henry Jenkins). Ce que beaucoup
de parents voient lorsque leurs enfants jouent à un Half-Life ou à
un Perfect Dark, c'est une arme qui flotte au milieu de l'écran et
qui abat tout ce qui se présente devant elle. Ce qu'ils ne voient pas,
c'est la sophistication du gameplay, du level design, de l'intelligence artificielle
et de la mise en scène, la complexité du système de contrôle,
les nombreuses stratégies qu'exigent les différentes situations
et énigmes, etc. Ce qui paraît n'être qu'un passe-temps
primaire pour décérébrés recèle en réalité
une phénoménale complexité.
L'important dans un jeu n'est pas le but, mais le moyen
En fait, les parents, et plus généralement le grand public,
ne perçoivent que le but du jeu, et non les moyens déployés
pour atteindre ce but. A priori, Asteroïds ou son récent remake
Spheres of Chaos (téléchargeable
gratuitement : hautement recommandé) sont fondés sur un
principe débile : détruire des objets. Mais ce qui fait leur
valeur n'est pas leur principe. Si Asteroïds et Sphere of Chaos sont
sublimes, c'est parce que le comportement des objets à détruire,
ainsi que celui de votre vaisseau, sont régis par des lois intéressantes
(inertie, trajectoires, vitesse, agressivité ou résistance variables).
De même, si les Mario et les Zelda sont entrés dans la légende,
ce n'est pas parce qu'il s'agit d'y délivrer une princesse, mais parce
que le parcours qui mène à ladite damoiselle est d'une richesse
et d'une ingéniosité inégalées. Donc, quand une
copine vous dit qu'elle aime Mario mais qu'elle sait que c'est tout con et
tout niais, dites-lui qu'elle a tort, et que les apparences sont fort trompeuses.
C'est un peu comme le foot : mettre un ballon dans une cage, c'est en soi
très bête, mais c'est tout ce qui précède qui est
(sporadiquement) beau –la stratégie, les passes, la frappe, etc.
Spheres of Chaos : principe con, sublime exécution
Dévalorisation sociale
Pour toutes ces raisons et d'autres encore, les jeux vidéo continuent
souvent d'être socialement dévalorisés, vus comme une
perte de temps, alors que la lecture, le cinéma ou la musique sont
des pratiques bien plus respectables. Pourtant, toutes les critiques qui mettent
en avant le caractère improductif et futile des jeux vidéo valent
aussi pour l'art. Alors pourquoi quelqu'un qui consacre l'entièreté
de son temps libre à la lecture ou au visionnage de films est-il considéré
comme normal, alors qu'un gamer est perçu comme un aliéné
déconnecté de la réalité ?
A cela, deux explications majeures. D'abord, la plupart des gens réduisent
les jeux vidéo à de simples jeux -sans intérêt,
sans conséquence, sans ambition autre que le divertissement-, et ne
les considèrent absolument pas comme une forme d'art capable de stimuler
l'imaginaire, les sens et l'intellect. Ensuite, notre société
a du virtuel une conception pour le moins étriquée et moralisatrice,
dont les jeux vidéo pâtissent énormément. De là
à recommander aux détracteurs du jeu vidéo de lire un
peu de philosophie et quelques romans de Philip K. Dick -auteur qui a constamment
souligné le caractère relatif et insaisissable de la réalité
et de l'identité-, il n'y a qu'un pas...
Article
écrit en mars 2002 par Pierre Gaultier.
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